Le Prix des libraires du Livre sur les quais

Cette année le Livre sur les quais, en partenariat avec ses huit librairies indépendantes, a instauré un prix des libraires. S’il est vrai qu’actuellement les prix littéraires abondent, celui des libraires est particulièrement apprécié du public :
Habituellement les libraires lisent beaucoup, ils en deviennent extrêmement exigeants. Dans la masse de livres qu’ils reçoivent journellement, ils ont la réputation de dénicher le chef- d’œuvre qui sort des sentiers battus.
L’indépendance les caractérise et lorsqu’ils doivent choisir un livre, ils le font avec une liberté totale, sans concession d’aucune sorte. Leur seul critère est l’affinité qu’ils ressentent pour un texte, un auteur.
C’est dans cet esprit qu’ils ont choisi, pour cette première édition, neuf livres (un récit a été proposé par le comité de programmation du LSQ)  parus de septembre 2015 à mars 2016. Chaque libraire a désigné le texte qui l’a vraiment séduit, celui qui lui  a laissé des traces.  Ces livres n’ont pas été sélectionnés au hasard, ils ne sont pas interchangeables. Si l’on demandait aux libraires d’en choisir un autre,  ce serait très compliqué !
Neuf rencontres, neuf  livres venus d’ici ou d’ailleurs, un choix varié qui va vous emmener de Suisse, en France, en Autriche, en passant par l’Islande pour se retrouver  en Haïti.
Au final le public est seul juge.
A lui de jouer.
Alors… votez  maintenant.

FBZ

Marianne Chaillan, reine du Trône de fer

Même les fans de la première heure, peu nombreux à l’époque, de George R. R. Martin, même ceux qui connaissent par cœur GoT (Game of Thrones), sont dans l’expectative. Désormais la série télévisée qui résume, abrège parfois radicalement les romans  a pris de l’avance sur la saga de l’écrivain américain en panne de livraison. 

Néanmoins, le lecteur n'est pas laissé pour compte, tant les ouvrages analysant l'oeuvre pullulent en librairie. Anecdotiques, opportunistes, ils se révèlent parfois passionnants. Ainsi de Game of Thrones, une métaphysique des meurtres, de Marianne Chaillan. Ou comment décrypter GoT en convoquant les philosophes. Dédié aux aficionados de Martin, ou au moins de la série, cette étude apporte un éclairage précieux sur les prétendants au Trône de fer .

Il ne faut pas avoir peur des mots savants à l’exemple de "conséquentialiste". La professeur de philosophie de Marseille prendre le temps d’expliquer chaque situation de manière claire, multiplie les exemples et les dialogues entre les personnages. Pour commencer, elle confronte la morale déontologique prônée par la maison Stark (en référence à Kant) et la morale conséquentialiste sur laquelle se base la maison Lannister (en référence à Bentham). Le devoir avant tout ou est-ce que seul le résultat compte? De quoi apprendre, via quelques petits exercices, de quelle morale chacun se chauffe!
La deuxième partie est consacrée à des "Méditations métaphysiques en deçà et au-delà du Mur". Etre dualiste (Platon) ou matérialiste (Lucrèce) ? Sommes-nous libres comme le désire Daenerys, la mère des dragons, ou déterminés comme ceux qui pensent que le futur est déjà écrit? De quoi multiplier les ramifications qui permettent de reconsidérer l’importance ou la valeur de certains personnages.

La troisième partie finira de passionner : "L’art de la guerre d’Esoos à Westeros". Avec notamment un chapitre remarquable qui calque "Les règles du jeu" selon Machiavel sur les différents protagonistes de GoT.

Ce livre foisonnant où l’on s’instruit tout en se divertissant, s’avère accessible à tous et se dévore comme un roman. Il faut plébisciter Marianne Chaillan, digne reine sur le Trône de fer. Une année après avoir enthousiasmé avec La playlist des philosophes, la jeune chercheuse sera à nouveau présente à Morges en septembre. Ne la manquez pas, elle aura certainement son mot à dire sur la saison 6 en cours.

Bernard Chappuis

Les atouts du Prix Jeunesse

Pour la première édition du Prix du roman jeunesse, le journal 24 heures et Le livre sur les quais ont précisé un cadre. Sortis récemment en librairie, les sept romans sélectionnés, de part leurs problématiques et l’âge de leurs héros, sont clairement destinés aux adolescents. L’absence de sagas dystopiques (Le labyrinthe, Divergente, Autre-Monde), du Jeu du maître ou de Endgame, pourra étonner. Ce choix s’explique aisément. La guerre des étoiles, épisode VII: Le réveil de la Force ne concourt pas au titre de meilleur film aux Oscars, comme Marc Lévy ne rentre pas en ligne de compte pour le Goncourt. Le succès se suffit parfois à lui-même. Tout en privilégiant la pluralité stylistique, le comité de sélection a surtout mis en exergue des récits traitants de préoccupations des ados:
Le suicide dans un univers romantique et gothique (Le domaine, de Jo Witek).
La romance dans l’espace fantastique du conte (Animale, T2: La prophétie de la reine des neiges, de Victor Dixen).
L’écologie et les dangers des rencontres sur Internet (Dans la gueule de l’alligator, de Carl Hiaasen).
L’apprentissage de la vie (Les petits orages, de Marie Chartres).
Les aléas de l’utilisation des nouvelles technologies (Totem, de Thomas Villate).
Sans oublier, les grandes tendances du genre, le polar fantastique doublé d’un hommage érudit à la culture populaire (Le dernier songe de Lord Scriven, d’Eric Senabre) et la pure fantasy sur fond de grande histoire d’amitié (Susan Hopper, T2 : Les forces fantômes, d’Anne Plichota et Cendrine Wolf).
Le succès grandissant des romans jeunesses et Young Adult raconte une histoire réjouissante : le livre n’est pas un objet obsolète pour les nouvelles générations.

Bernard Chappuis

Le polar et le roman jeunesse en mode majeur

En 1968, un vocable apparaissait, claquant comme un coup de fouet, polar. Depuis, ce diminutif un brin ironique au départ, dans la lignée des mots en ar (anar, routard, nanar), a presque escamoté "roman policier" dans le langage courant. Une révolution sémantique à mettre en parallèle avec la création ou le développement de sous-genres plus ciblés, du néo polar au polar historique pour faire court.
Le même type de phénomène touche à son tour le roman jeunesse, domaine aux frontières floues. Ainsi ce genre générique évolue, bouge, s’impose sous diverses étiquettes : jeunesse, ado, Young Adult, adulescent. Merci, Harry Potter. Il s’impose encore sous le label "romans d’anticipation dystopique". Merci, Katniss Everdeen (Hunger Games).
Si Le Meilleur des mondes, d'Aldous Huxley, et La Guerre des salamandres, de Karel Čapek, datent des années trente (à l’époque on parlait de romans visionnaires ou de S.F.), c’est bien le triomphe planétaire des grandes sagas de la littérature jeunesse qui ont amené la dystopie dans les dictionnaires (1).
Heureuse coïncidence, le polar et le roman jeunesse, dans tous leurs états, seront particulièrement en vedette cette année à Morges. Précisons encore que les deux genres parfois se confondent  comme dans A découvert de Harlan Coben, Theodore Bonne, enfant et justicier, de John Grisham ou Panthère de Carl Hiaasen. De grands auteurs qui respectent leurs lecteurs.

Bernard Chappuis

 

1) Dystopie de l'anglais dystopia, composé du préfixe grec dys, mauvais, difficile, erroné et du radical d'origine grecque, τόπος (topos : « lieu »), in Wikipédia. Une contre utopie en quelque sorte.

Découvreuse de mondes

Je suis peut-être une exception – ou pas –, mais ce n’est pas un livre qui m’a donné l’envie d’écrire.
Quand j’étais enfant, mon père, qui écumait le monde pour son travail, me rapportait des trucs bizarres: caïman empaillé, peau de boa constricteur, mocassins amérindiens, bijoux en turquoise, rose des sables ou têtes réduites d’Amazonie. Non contente d’exhiber cette moisson fabuleuse en classe pour épater mes petits camarades, je m’empressais d’imaginer des histoires, toutes plus fantastiques les unes que les autres, pour expliquer l’origine, pas toujours très orthodoxe, de ces objets. Pris au jeu, mon père m’a vite rejointe et a commencé à jeter sur papier des scénarios mettant en scène ces trouvailles venues du fin fond de la planète. Scénarios que j’illustrais en bande dessinée, ma première passion (ma mère était dessinatrice), après mes fastidieuses journées d’école.
Nos fictions foisonnaient de péripéties extraordinaires où des savants géniaux, mais toujours fous jouaient des rôles prépondérants en faisant des découvertes majeures ou en organisant des expéditions aux confins du monde connu. Ça ressemblait aux aventures de Tintin, mais en plus rocambolesque. Il faut dire que, jusqu’à mes cinq ans, nous habitions Bruxelles, le temple de la BD.
Ainsi nourrie par les voyages de mon père et des récits qui s’en inspiraient, je voulais à mon tour explorer les pays lointains, partir sur la trace de civilisations anciennes, de cultures différentes et, pourquoi pas, découvrir l’Atlantide! C’est sans doute ce qui a motivé mon intérêt précoce pour l’archéologie et l’anthropologie.
C’est un peu plus tard, en dévorant les romans d’Henri Vernes, «Les aventures de Bob Morane», qui circulaient entre les bancs d’école, que j’ai pris conscience que les histoires que nous concoctions, mon père et moi, appartenaient au genre de la science-fiction.
À l’époque, je mettais en pratique mes récits avec un groupe de copains, constitué essentiellement de garçons un peu frondeurs. Ensemble, nous écumions le quartier de Champel, à Genève, qui, avec ses maisons abandonnées, ses falaises, ses bois touffus et sa Tour, se prêtait bien au jeu.
Ensuite, vers dix ou onze ans, j’ai découvert Nathalie Henneberg et son magistral space-opera : « La Plaie ». Une lecture un peu coriace pour cet âge tendre, mais son écriture originale et son sens du merveilleux ont achevé d’enflammer mon imagination. Dès cet instant, ma voie était tracée : j’écrirai un jour à mon tour des romans de science-fiction !
Forte de cette révélation, j’ai dévoré tous les classiques anglo-saxons du genre, dont une bonne partie peuplait la bibliothèque de mon père : Asimov, Clarke, Simak, Vance, Anderson, Dick, Priest, Silverberg, Hamilton, Bradbury...
Pour en revenir au présent, ou au futur proche, dirons-nous : quelle serait la première phrase de mon prochain roman ? L’Univers n’est pas ce que nous croyons... Non, je rigole... à peine ! Je n’en ai aucune idée. Je viens juste de publier «Origines», le dernier tome de ma trilogie «QuanTika», aux éditions l’Atalante. Alors, je savoure encore cette récente parution.
Avec «QuanTika», qui raconte la découverte d’une exoplanète, comprenez une planète située hors de notre système solaire, et d’une ancienne civilisation stellaire ayant jadis visité notre Galaxie, j’ai pu explorer à loisir mon sens du merveilleux et traiter les sujets que me tiennent à coeur depuis l’adolescence, à savoir le rapport de l’humain face à la science et aux mythes cosmogoniques. En clair, parler de l’Univers qui nous entoure et de ses multiples représentations. «QuanTika» est une translation, passant des vérités scientifiques aux solutions apportées par le mythe. C’est un mouvement de va-et-vient, fait d’interrogations, de doutes et de surprises, qui conduit le lecteur de «Vestiges» à «Origines», le dernier tome de la trilogie.
C’est cet ultime volet que je me propose de vous présenter au Livre sur Les Quais cette année. Bien sûr, vous pourrez également découvrir «Vestiges», paru en 2012, et «L’Ouvreur des Chemins», paru fin 2013. Je me ferai un plaisir de vous parler de Gemma, planète extrasolaire glacée orbitant autour de son étoile double AltaMira, des mystères de la physique quantique et des nombreux personnages qui peuplent l’univers de «QuanTika».

Laurence Suhner