De ma libraire d’enfance

De ma libraire d’enfance, de pains changés en livres, d’une ancienne camarade d’école et d’autres plaisantes rencontres

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

Quand je reçois une invitation au Livre sur les quais, je me rends compte que la coorganisatrice de la manifestation, Sylviane Friederich, n’est autre que ma libraire d’enfance. Une fois par semaine, j’allais à Morges, où avaient lieu mes cours de violoncelle. J’achetais des livres à la Librairie Couvaloup avec l’argent que me confiait ma mère pour acheter du pain. J’y entrais comme dans un lieu sacré, intimidé, mais heureux. C’est là que j’ai découvert Crime et châtiment, Les Frères Karamazov et les autres romans de Dostoïevski et de Tolstoï, les dialogues de Platon – dont l’Apologie de Socrate, qui m’a longtemps parue être la chose la plus merveilleuse qui ait jamais été écrite –, À rebours, de Huysmans, L’Antéchrist, de Nietzsche ou encore De Profundis et les œuvres complètes d’Oscar Wilde, que j’avais commandées d’une voix tremblante.

En arrivant à ma table de dédicace, j’ai l’agréable surprise de reconnaître en ma voisine, Cali Keys, une ancienne camarade d’école. Nous plaisantons et rions beaucoup. Je fais la connaissance de mes autres voisins : Manon Leresche, qui me dédicace un exemplaire de son poignant récit, Jenny Sigot Müller, Alphonse Layaz, Gilles de Montmollin, Sabine Dormond et Pierre Yves Lador, avec lequel je parle longuement d’Henry Miller. Quelques mois seulement se sont écoulés depuis le jour où j’ai apporté mon manuscrit à l’office de poste d’Yverdon-les-Bains.

Je passe un agréable week-end, entouré par une équipe de bénévoles très attentionnés, à échanger avec les personnes qui me font le plaisir de venir me voir ou de s’arrêter un instant. Quentin Mouron me salue amicalement, Cédric Pignat – l’auteur des Murènes – vient acheter mon livre, je croise Antoine Jaquier dans les toilettes du Balzac et j’ai l’impression de feuilleter Femina quand je vois Fred Valet, qui passe devant moi pour aller à la buvette. Plus tard, je vais débattre de « la relève littéraire suisse » avec Elisabeth Jobin, Noëmi Lerch et Julien Maret.

Vendredi matin, une dame au regard empreint de gentillesse me demande une dédicace. Elle revient le lendemain et me dit qu’elle a lu la première partie de Babylone et qu’elle aimerait prendre un autre exemplaire pour l’offrir. Lorsqu’elle revient dimanche, elle me dit qu’elle a fini les trois cent quarante pages de mon livre et qu’elle est sûre que je deviendrai un grand écrivain. Le week-end prend fin et je rentre chez moi certain d’avoir eu raison de consacrer six ans à écrire ce roman.

Baptiste Naito

(Photo © Xavier Nussbaum)