Il y a longtemps que je ne lisais plus

Il y a longtemps que je ne lisais plus. Que l’envie m’était passée de me ventiler les neurones à coup de pages qui tournent dans le vide. Il y avait eu la noirceur de Céline, Vian quand il touchait à l’absurde, le sens de l’anticipation de Houellebecq et la trompeuse facilité de Djian. L’essentiel. Et puis un écrivain qui ne lit pas, ce n’est pas bien grave non plus. N’exagérons rien. On n’a plus besoin aujourd’hui de s’aimer pour devenir amis, d’avoir du talent – au moins un – pour prétendre à la célébrité, de vaseline pour se faire entuber. Je préférais feuilleter les chapitres de la vie qui défilait devant moi. A m’en gaver.
Ce n’était donc pas gagné, mon retour aux bouquins, mais j’ai fini par replonger. Je suis faible. Faute avouée n’est-elle pas à moitié pardonnée? Rassurez-vous, je n’en ai pas encore le bout des doigts qui pisse le sang. Je ne craque qu’une fois l’an. A l’été. Le dernier volume, je l’ai dévoré. Je me suis attardé quelques minutes sur sa couverture avant de l’ouvrir, comme lorsqu’on reçoit un mot doux mais qu’on retient sa lecture parce qu’on doute, par expérience, qu’elle soit aussi bonne que l’attente. Il y avait un lit savamment défait, une véranda aux montants métalliques, une table de chevet jaune et les immeubles d’une banlieue au loin. Je voulais ce lit. Mieux: je voulais la vie de l’homme qui dormait dans ce lit et qui présentement devait prendre un café. Ou sa copine sur la table de la cuisine. Hors champ. Et cette scène où deux femmes se retrouvent dans un dressing grand comme trois fois ma chambre! Les armoires n’ont pas de portes. Les draps sont empilés au carré. On plonge dans l’intimité de leurs chemisiers pâles et de leurs boîtes à bordel. Deux coiffeuses se tournent le dos. Il y a un thé fumant et une paire de lunettes de vue sur le rebord de la fenêtre. Laquelle est myope comme une taupe? Celle qui essaie une paire de chaussures compensées ou la greluche qui prend la pose devant le miroir? Je suis resté longtemps à les observer.
Je me souviens avoir gardé le chapitre suivant pour le lendemain. Il s’intitulait «Se détendre».
Le plus inspirant de tous les catalogues Ikea, vraiment. Et l’envie de coucher des mots sur ces images de petits bonheurs suédois me booste pour l’écriture de mon prochain roman, après Meilleurs vœux toi-même! L’action ne passe pourtant pas à Stockholm, mais plus haut. En Laponie finlandaise? Bien plus haut: elle se déroule… le jour du premier pas de l’homme sur Mars.

Laurent Antonoff