La fiction c’est si bon

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

Février 2013, Andonia Dimitrijevic m’annonce que l’Âge d’homme souhaite publier “Ils sont tous morts”, mon premier roman. Sortie prévue à la mi-août.

Au début de l’été j’apprends que je n’ai pas été sélectionné pour participer au Livre sur les quais. “Il y a plus d’auteurs que de places”, ils sont désolés.

Ça ne va pas du tout. Voilà trois mois que chaque interlocuteur apprenant la sortie de mon livre se réjouit de venir l’acquérir et se le faire dédicacer à Morges, au Livre sur les quais.

Deux options s’offrent à moi : 1. Faire du forcing. 2. Organiser le “off” du LSQ.

La première semble moins engageante.

Un email bien torché pourrait peut-être suffire. On est écrivain, ou bien?

Ça passe, le comité entend ma détresse. Ouf, pas de “off”.

Pendant ce temps les journalistes découvrent le dossier de presse, lisent “Ils sont tous morts” et certains l’adorent.

Le 15 août le livre sort en librairie et les premiers articles élogieux paraissent. Ça se présente bien. Je suis invité pour le journal de 12h30 de La 1ère, en direct du LSQ le vendredi de l’ouverture. Avec moi Madame Sylvie Berti Rossi, responsable de l’événement, et Tatiana de Rosnay, la Présidente d’honneur cette année. Vite, lire son dernier bouquin. Je découvre “À l’encre russe”, qui par chance me plaît bien.

On m’apprend que je participerai également à une table ronde en compagnie de Denis Tillinac, vieil ami de Jacques Chirac, monstre de culture et qui, depuis, a publié “Du Bonheur d’être réac”.

Je n’en demandais pas tant, un petit coin de table pour signer mon bouquin aurait fait mon affaire.

Mais les choses se sont passées autrement.

Cette édition 2013 a été pour moi un tourbillon de rencontres et d’émotions. On ne publie au cours d’une vie qu’un seul premier roman et j’ai trouvé à Morges les conditions idéales pour réaliser et déguster cette étape. Officiellement invité à dédicacer mon livre le samedi et le dimanche, je n’ai pu m’empêcher, suite au passage radio du vendredi, de fureter sous la tente du Salon. Une place m’a-t-elle déjà été attribuée ? C’est le cas. « Antoine Jaquier » est inscrit sur un bristol et juste derrière, deux gros cartons débordent de mon roman. Une belle sensation. Un frisson. « Ça y est mon gars, c’est pour de vrai ». L’impression que tout le monde me regarde. Mais non. Les auteurs présents ont d’autres préoccupations que mes sentiments de pucelle littéraire intronisée au bal des dédicaces. On sympathise. Des visiteurs veulent me prendre un bouquin, demandent que j’y appose ma griffe. Je m’assieds, sors un stylo, et sans y penser je signe mes premiers livres à des inconnus. Deux heures non-stop. Certains l’ont déjà lu ou ont vu un article, d’autres se font avoir par mon bagout de camelot, habitué des vide-greniers. On rigole bien. À ma gauche Edmond Vullioud nous déteste déjà, ma frime et moi. Son humilité devant la beauté de son recueil de nouvelles m’agace. On s’entend bien. La Vallée de Joux et l’Âge d’homme en commun.

Samedi soir les deux cartons sont vides lorsque je reçois le sexto de Tatiana. Un yacht passera me prendre à 21heures au petit débarcadère. Elle me veut en smoking, un foulard de soie blanc à mon cou. La répétition de la sonnerie me réveille en sursaut. Je me suis assoupi dans le train du retour. Le SMS est de ma mère. Elle demande des nouvelles alors que je rêve déjà au début de mon prochain roman.

La fiction c’est si bon.

Reste le sourire des bénévoles, l’accueil exceptionnel des organisateurs et de la ville en général. Et juste là, le Léman.

Antoine Jaquier

(Photo © Nadia Cortellesi)