Le succès d’une love story

Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.

D’abord, ça a lieu au mois de septembre, le mois le plus tendre, comme le chantait Nougaro. A peine arrivé sur les lieux, on note l’imposante tente blanche qui jouxte le lac d’un sublime bleu d’acier. Il n’y a pas à dire, le cadre est idéal pour une idylle! Rien à voir avec les grandes halles industrielles, illuminées de néons, auxquelles on est habitué. Malgré la touffeur, on y pénètre pour assister à la cérémonie. On attend avec impatience que le discours soit terminé, pour aller boire et rire avec nos camarades au cocktail d’inauguration, mais, en tendant l’oreille, on se surprend à aimer ce qui est dit là par l’élue locale, laquelle souligne la nécessité absolue que le salon reste un événement chaleureux et populaire, pour finalement succomber au charme des propos d’une Nancy Huston digne, engagée et généreuse.

Le lendemain, on flirte un peu avec ses voisines de table, histoire de faire connaissance, de savoir ce qu’elles ont dans le ventre et sous la couverture de leur livre que l’on acquiert pour le plaisir de prolonger après le salon cette discussion imposée, d’abord maladroite et banale, et, à mesure que les heures passent, à laquelle on prend goût.

On signe avec gratitude ses ouvrages aux lecteurs, qui ensuite se rendent aux caisses, les bras chargés de livres, qui sont déjà les leurs - les paraphes, preuves matérielles d’une rencontre unique et singulière, l’attestent. Ils y payent de bonne grâce ces ouvrages qu’ils ont déjà apprivoisés.

Alors qu’on tend en même temps un ticket repas dans le jardin du Casino, des amitiés se tissent entre les auteurs. Quand on est chanceux, une amourette peut même naître entre nous et un écrivain d’expression française avec lequel on correspondra fébrilement pour finalement, avec la distance et le temps, devenir de bons amis.

On s’éprend d’une vision du monde ou de la littérature, lors d’un des débats, au thème certes un peu englobant pour permettre à chacun d’y trouver sa place, mais qui donne à entendre un timbre de voix, une gestuelle ou un sourire qui nous rend soudain une œuvre plus familière.

Les cafés défilent, apportés par les bénévoles, les âmes de la manifestation, au don d’ubiquité et à la diligence rares, auxquels, si on était Eddie Barclay, on offrirait du champagne pour les remercier de nous rendre le séjour si appréciable. En attendant, on leur déclame notre amour et notre reconnaissance pour leur sollicitude. Il est vrai que le vin a peu à peu remplacé le café, mais, c’est connu, l’ivresse ne fait que révéler nos convictions profondes.

Le soir, on croit rêver. On se pince, mais la vision de cette multitude d’écrivains installés sur les chaises au design vintage de la maison Moyard - sur des Eames, des Panton et des Le Corbusier – occupés à échanger des propos sur la littérature est bien réelle. On se dit que l’on a bien fait de ne jamais avoir cédé à la tentation tenace d’un « tout sélectionner », « tout effacer ».

En after, on commence à tutoyer tout le monde, parfois après y avoir été invité, parfois, avant. On tourbillonne dans les ateliers Moyard sur des notes de musique électronique qui scintillent avant de disparaître dans la nuit déjà bien avancée. On rate le premier train et, le lendemain, on est encore plus aimable que la veille, car on sait que ce ne sont pas les lecteurs qui parlent plus fort ou le soleil qui darde avec plus de virulence ses rayons sur la tente immaculée, mais que notre gueule de bois doit bien y être pour quelque chose.

Laure Mi Hyun Croset

(Photo © Whitebalance)