T’as trouvé l’amour, toi ?
Chaque semaine, un auteur nous raconte son Livre sur les quais.
Tu penses qu’on peut trouver l’amour sous une tente remplie de fictions ? Tu penses qu’on peut faire l’amour sous une table remplie de jambes d’écrivains ? T’écris quoi, toi ? T’écris pour quoi, toi ? T’écris pour qui, toi ? Pourquoi tu as deux cartons de plus que moi ? Il faut juste s’asseoir et signer ? Comment ça, vendre ? On ne me dit jamais rien. Imagine, tu ne vends rien pendant trois jours. Le costard ? C’est pour faire croire aux badauds que je vis de mes droits d’auteur. Les toilettes, c’est où ? Je reste assis ? Sur la chaise ? La table ? Je dois sourire tout le temps ? C’est louche un écrivain qui sourit. ACHETEZ MON LIVRE (s’il vous plaît). C’est sympa. C’est sympa ? Hein ? Au Comptoir, on n’aurait pas idée de faire dédicacer sa Laurastar. J’ai peur. J’ai froid. T’as faim ? Ah, elle, elle n’écrirait pas que je la lirais quand même. Je crois qu’il y a du blanc au bar. Julien Blanc-Gras m’a dit juste avant qu’il ne lirait pas mon bouquin parce qu’il comptait écrire le même en mieux. Pourquoi y a-t-il plus d’écrivains sur les dents que de mouettes sur les bouées ? Il faut aussi souhaiter bonne journée à ceux qui n’achètent rien ? «Je voulais juste vous voir en vrai.» C’est louche un écrivain qui sourit, non ? Je peux pas, j’ai table ronde. Je l’aime bien, lui, c’est qui déjà ? Tu surveilles mes livres pendant que je vais jeter mon égo aux canards ? Ma mère va arriver. Elle pense que je suis aussi célèbre que Michel Houellebecq alors fait comme si tu étais moins connu que moi. Tu sais que le nègre d’un écrivain, j’ai longtemps cru que c’était de l’esclavage romantique ? Tu fais ça tous les ans ? Je veux dire, t’asseoir poliment pour regarder tous ces gens ne pas acheter ton livre. Je ne savais pas qu’il écrivait, lui. La littérature, pour moi, c’est être assis entre un ancien flic et un gangster repenti et qu’il ne se passe absolument rien. Tu mets une coche à chaque bouquin vendu ? Amélie Nothomb est accueillie avec des barrières. Trouve-moi le préposé aux barrières. «Amitiés», ça fait trop pédant ? Bonjour madame, sachez que mon livre est mieux et moins cher que celui que vous comptiez vous offrir. Pourquoi il a feuilleté le mien en m’ignorant, avant d’acheter le tien en te fixant ? Tu savais qu’Anne Cuneo vend vraiment des livres, elle ? Ça ? C’est un tampon «édition limitée» qu’un ange gardien m’a offert. Oui, les anges ont de l’humour. Le mec vient de me souhaiter bon courage. Demain, je viens avec un poissonnier de Rungis. Demain, je viens en porte-jarretelles. Demain, je viens plus tôt. Demain, je ne viens pas. Demain, j’irai bien. Mieux. T’es encore au café ? À quel nom ? Avec un «h» ou sans «t» ? Ici, être punk c’est s’offrir un bouquin sans le faire dédicacer. C’est fou, plus tu écris, plus on te demande de parler.
J’ai bien vendu.
J’’ai bien bu.
J’ai été ému.
Ma gosse est venue.
J’ai pas beaucoup lu.
T’as trouvé l’amour, toi ?
Fred Valet
(Photo © Claude Dussez)