Du renard au cheval…

Non je ne suis pas un ami des bêtes ou alors des bactéries et des tardigrades, mes frères et sœurs… Enfant je dévorais tout : les romans de bêtes, de montagnes, d’aventures, de science-fiction, puis la belle collection des contes et légendes chez Nathan, tous les contes, toutes les légendes qui me tombaient sous la main. Je voulais créer ces mondes magiques plus vrais que la réalité ordinaire.
Le premier essai dont je me souvienne, parce que peut-être il est fondateur, est une petite composition commandée par mon prof de sciences naturelles au Collège Classique Cantonal, je devais avoir dix ans. La consigne, j’ai toujours aimé les consignes qui ouvrent un espace de jeu, exigeait que l’on rédige le compte-rendu d’une expérience dans la nature  agrémentée d’un éventuel dessin. J’avais écrit dix lignes inspirées sans doute de mes lectures, de mes images intérieures et de ma représentation de la famille idéale. J’inventais donc, au mépris de la consigne, mais après tout n’est-ce pas là le fondement de la littérature, mentir vrai, interpréter le monde ? Je contai inconsciemment une scène archétypique. Une famille renard, le père à la chasse, la mère sur le bord du terrier qui surveillait sa portée de renardeaux jouant à se culbuter dans les feuilles mortes et les rayons de soleil de la clairière. Quand la mère alertée par un bruit suspect pousse un petit glapissement les renardeaux cessent de jouer et se précipitent à la queue leu leu dans le terrier. La mère ferme la course.  Tout cela, d’une platitude infinie, est une reconstitution comme en pratiquent les archéologues à partir de leur science, de leur vision du monde et de trois tessons, deux pointes de flèches, un os de renne gravé et du pollen contenu dans la gravure et qui vous dessinent un chasseur venu d’Italie, qui avait échangé un os norvégien contre une jarre de Marseille au marché aux puces vernal de Sion. On est toujours trahi par ses traces. Le prof avait écrit sous le texte : bien observé.  Est-ce ce jour que j’ai cru au mensonge, au pouvoir des reconstitutions, de la création, tel Moïse faisant jaillir une source d’un rocher en plein désert, d’un trait de plume, c’est la baguette de l’écrivain. D’où venait cette eau, était-elle là avant  ou bien est-ce une illusion rafraîchissante, un symbole ? Cette famille renard imaginaire existe toujours alors que mes parents sont morts, que mon frère est mort et je joue toujours avec les mots pour inventer, retrouver, des renards ou des loups, des frères et des amis, des lecteurs qui, comme moi lecteur, se demandent inlassablement si c’est vrai, c’est si bien observé, si bien inventé. D’où cela vient-il, quand l’a-t-il vécu, a-t-il vraiment, traversé le Sahara , connu cette femme, parlé aux chevaux sauveurs, le narrateur est-il l’auteur ? Et nous réalisons, écrivain et lecteurs que nous voguons sur des mots, des images, emportés par une musique qui nous entraîne à travers les galaxies, chevauchée fantastique, réenchantement du monde, vers notre origine et notre fin.

Pierre Yves Lador