Passionnés, authentiques et familiers … les héros de roman.

Mon désir d’écrire est intimement lié à mes rencontres avec les livres. Les plus importantes se sont produites au cours de mon enfance et de mon adolescence. Ma toute première rencontre, inoubliable, c’était avec « Sans Famille » de Hector Malot. Je l’avais obtenu de ma mère à force de tirer sur sa manche, au supermarché. Un enfant trouvé affrontait les épreuves de la vie et après maintes péripéties, découvrait sa véritable identité. Je me souviens surtout de Rémi troubadour, en compagnie de son ami Vitalis, du chien Capi et des autres animaux. Un peu plus tard, vers huit ou neuf ans, j’ai reçu à l’école le « Quo Vadis » de Henryck Sienkiewicz. C’est peu dire que ce livre m’a intéressée. Je connaissais des passages entiers par cœur. Je vivais, j’aimais, je souffrais avec les premiers chrétiens martyrisés, dans la Rome de Néron. Par la suite, j’ai été absolument passionnée de lecture. Le besoin de lire me tenaillait tout le temps ; le jour lorsqu’il n’y avait pas école, à la récré, dans le bus, souvent la nuit aussi, à la lampe de poche, sous mes couvertures lorsque l’extinction des feux avait été décrétée à la maison. Je lisais pour m’évader, pour comprendre et connaître. Je dévorais tout ce qui me tombait sous la main, livres, revues, bandes dessinées, publicités. Des romans !

J’étais à peine adolescente lorsque le désir d’écrire s’est emparé de moi. Je remplissais des tas de cahiers de ces histoires que j’inventais. Souvent, je m’inspirais de personnages de roman. Je raffolais de ces figures hautes en couleur, vibrantes, échevelées, amusantes, tourmentées, que le génie et la générosité de leurs créateurs rendaient à la fois authentiques et familières. Chacun d’entre eux m’a révélé une facette de l’âme humaine, m’a invitée dans sa vie, son pays, son époque. J’aimais leur inventer des visages, partager leurs secrets et comprendre les ressorts cachés de leurs actions. Julien Sorel, le mystique Abbé Mouret de Zola, Edmond Dantès, Constance Chatterley, la belle Ariane d’Albert Cohen, le génial Ignatius Reilly de JK. Toole, l’inénarrable Bertie Wooster et son mentor Jeeves, de PG. Wodehouse, Cyrano le magnifique, les truculents Clochemerlins de Chevallier, les fières Anglaises d’Austen, Heathcliff de Brontë, César et Marius, parmi tant d’autres, m’ont beaucoup donné. Ils m’ont accompagnée sur le chemin qui mène à l’âge adulte. Rassurants et proches, comme des amis, je peux imaginer qu’ils ont participé, bien des années plus tard, à la création de mes propres personnages.

Mon premier roman donne la parole à des enfants, trois copains jouant dans les collines et sur les plages d’un « Grand Port » de Méditerranée, traversant côte à côte les épreuves de la guerre. Je retrouve, tapis au fond de ma mémoire, le petit Rémi d’Hector Malot, les gamins de Joffo, le petit Pagnol, ses parents, leur gloire et leur château, Nicolas de Goscinny et le Petit Chose de Daudet… Ces êtres jeunes ont un jour soulevé en moi des vagues d’émotion. La tendresse qu’ils ont su m’inspirer est remontée en moi lorsque j’ai commencé à écrire « L’enfant de Mers el-Kébir ». J’ai choisi dans ce livre de donner la parole à des enfants ; ils ont guidé ma plume pour raconter avec leurs mots à eux, justes, émouvants et drôles, des épisodes dramatiques de la deuxième guerre mondiale en Afrique du Nord.

J’imagine que la première phrase de mon prochain livre sera écrite ou réécrite plusieurs fois en cours de route, peut-être même des semaines après avoir posé le mot de la fin. Elle sera plutôt « réfléchie ». Par cette première phrase, j’aimerais dire « je t’emmène dans mon monde » en espérant que mon lecteur répondra : « je viens avec toi ».

Sophie Colliex