Pour essayer de répondre à votre question

La mémoire n’est plus très sûre, elle a fait son travail, mélangé, recomposé, réinterprété… Tintin au Congo… Ma première encyclopédie… Tex contro tutti… L’Énigme de l’Atlantide… La Cuisine du marché… Je ne sais plus très bien, à force de me souvenir, à force de redire, à forcer de mythifier mon propre parcours, lequel de ces titres fut vraiment le premier à m’habiter.
Longtemps, j’ai cité Tintin au Congo, parce qu’il m’avait été offert par l’une des dames chez qui ma mère faisait des ménages, parce que je ne savais pas encore lire et que le décryptage de cette succession d’images me procura le plus vif des plaisirs.
Je fis beaucoup l’éloge de Ma première encyclopédie, parce que volé dans la bibliothèque de l’enfant de l’une des dames chez qui ma mère faisait des ménages, parce que surtout je conversais avec ce livre mieux que je n’aurais été capable de le faire avec nul autre et que cela reste encore valable aujourd’hui.
Tex contro tutti, parce qu’acheté pour moi par mon père en gare de Roma Termini un jour de grève, parce qu’il veille, depuis toujours semble-t-il, sur cette partie de moi profondément italienne et obscure à la fois, ce puits de mystère sans fond, merveilleux et terrifiant inconscient, que je ne parviens à restituer que par bribes insignifiantes et parce que ce fumetto fut très prompt à m’introduire auprès d’autres séries bien plus passionnantes encore, comme seule l’Italie des années de plomb savait produire et où le fantastique se mêlait subtilement à l’érotisme, produisant de considérables éruptions de l’imaginaire.
L’Énigme de l’Atlantide, parce qu’ardemment désiré dès qu’aperçu au rayon livres de la Migros et parce qu’il fut, je pense, un véritable outil d’écriture. Mon outil. Avec lequel j’ai commencé à réfléchir à la manière de déposer des mots destinés à faire sens sur une feuille. Et mes premiers mots furent des dessins.
Ces derniers temps, je mentionne beaucoup La Cuisine du marché, parce que découvert dans le grenier d’une maison dans laquelle ma mère faisait des ménages et parce qu’en société, c’est probablement cette obsession de la nourriture que je veux d’abord faire transparaître de ma personne et cela dans l’intention probable de dissimuler tout le reste.
Je ne crois pas cependant que l’un ou l’autre de ces livres m’ait donné l’envie d’écrire. J’ai mis longtemps à le comprendre, mais jamais je n’ai eu l’envie d’écrire. C’est en réalité bien autre chose qui se passe en moi et ceci pourrait tout à fait constituer le début de quelque chose et pas forcément d’un roman.

Germano Zullo