Quand je serai grande, je serai auteure

Enfoiré de Camus, salopard de Buzzati, stronzo di Sciascia, empafé de Maupassant, foutue Despentes, charogne de Woolf… Ils et elles ont fait murir les idées et les ont exprimées. Elles et ils ont fait semblant d’écrire des histoires pour métaboliser des concepts. Ces génies ont défini, formalisé, immortalisé l’amour, la colère, la joie, la tristesse, la peur, la misère, la solitude, en dehors des conventions, précisément, avec intelligence. Ils et elles ont parlé, et leurs mots font le monde. En faisant rire et chialer, c’est l’humanité qui s’est écrite sous leur plume.

Envie d’écrire, oui, mais pour dire quoi ? Que dire après elles et eux ? Qu’est ce qu’il reste à dire, et comment le dire bien, ensuite ? Il n’y a rien avant et rien après un roman immortel comme la Chute, Il Giorno della Civetta, Les Versets Sataniques… En dehors de l’Aleph, de Cabot Caboche, delle Aventure di Pinocchio, que peut-on encore espérer apporter? Auteure débutante après ces montres, quel orgueil de même y songer. Et pourtant, j’ai une soiffe inaliénable de faire partie de leur équipe, et une angoisse de peut-être, surement, ne pas y parvenir. Alors, me donne-t-elles envie d’écrire ou me figent-ils dans l’immobilité ? Je ne peux pas y répondre encore, je suis trop petite. Je n’ai pas encore trouvé le courage d’essayer vraiment.

Quand je serai grande, je serai auteure, parce qu’entre temps, j’aurais beaucoup appris sur l’amour, la colère, la joie, la tristesse, la peur, la misère, la solitude. J’inventerai une histoire, mais j’ai pas encore trouvé l’idée. Et on s’en fout parce qu’en réalité c’est pour parler d’autre chose, c’est juste une excuse. L’Etranger ne parle pas de Meursault et Voyage au Bout de la Nuit ne parle pas d’Amérique. Ce sont juste des prétextes pour inventer le monde, ou pour le réinventer, au stade où on en est. Et c’est très fort, de parler d’un truc pour parler d’autre chose. De raconter l’histoire d’un village pour parler de l’infini, ou de dessiner une grosse femme alcoolique pour présenter une époque. Il faut une bonne dose d’abstraction, une grosse marge de liberté pour oser écrire une fiction. Il faut être connectée, ouverte, proche de soi et des autres. Et il faut de l’orgueil, croire que ce qu’on a à dire vaut la peine d’être partagé et qu’on a assez de talent pour le transmettre. Il faut oser se foutre à poil sur le papier, en attendant les coups, parce qu’ils pleuvront.

De toute manière on a pas le choix, écrire de la merde ou écrire quelque chose de bon, il faut écrire, ça c’est une nécessité.

Coline de Senarclens